Une école d’orphelins militaires sur la Butte de l’Étoile à la fin du XVIIIe siècle

« M. Paulet trouva près de Vincennes, le 10 juin 1773, un enfant qui, tombé dans un fossé à la suite d’un violent orage, allait s’y noyer. Il sut de lui qu’il était fils d’un ancien maréchal des logis de dragons mort à l’hôtel des Invalides ; cet enfant vivait depuis quinze jours dans les bois où il mendiait. »

Une enquête établit que beaucoup d’enfants, en général fils de militaires, se trouvaient dans le même cas. Ému de pitié, le chevalier Paulet s’occupa de les recueillir et de leur ouvrir un asile.

L’École des orphelins militaires s’ouvrit à la barrière de Sèvres dans une maison à laquelle succéda le couvent des Oiseaux.

Jal, dans son excellent dictionnaire, consacre un article au chevalier Paulet – Fleury de ou du Paulet ou Paulet, on trouve les deux orthographes – de Commartin, né à Lyon en 1731. M. Guillaume, dans ses Études révolutionnaires, parues en 1909, s’est occupé également de ce personnage, et a fait l’histoire de son établissement, nous ne pouvons donc que renvoyer à ces deux ouvrages.

Rappelons brièvement que Paulet n’entendait pas faire de son école une sorte de Prytanée, comme celui qui existe à La Flèche. Il consultait les aptitudes et la vocation de chacun des enfants pour leur donner un métier ou une profession. Il eut même l’idée d’avoir chez lui un conservatoire en petit pour ceux qui annonçaient des dispositions pour le théâtre, et l’on voit qu’il essaya même de faire jouer sur quelques scènes ses jeunes recrues.

Il comptait plus de deux cents élèves, et la maison de la barrière de Sèvres suffisait à peine pour les contenir.

Ici, nous arrivons à des faits qui nous intéressent plus particulièrement.

Voici ce que dit M. Guillaume :

« Le projet du chevalier Paulet de transporter son établissement entre Chaillot et le Bois de Boulogne ne se réalisa pas, j’ignore pour quelle raison. »

Sur un plan de Paris qui date du commencement de l’Empire, on voit, en dehors et tout près du mur d’enceinte, tout près aussi de la route de Neuilly, par conséquent occupant un espace compris entre l’avenue de la Grande-Armée et presque l’avenue Victor-Hugo, un long rectangle, coupé au milieu par un carré qui déborde. Il n’y a pas de nom indiqué. Il est facile d’y en mettre un : ce sont les fondations et les commencements de murs de la nouvelle école des orphelins militaires. Or, le plan de ces nouvelles constructions avait été donné par un architecte de talent, Antoine, auquel on doit l’hôtel des Monnaies.

Dans une communication que nous avons faite précédemment, nous avons vu qu’à la fin du règne de Louis XVI, le Conseil des bâtiments se préoccupait de l’embellissement futur des Champs-Élysées, et il n’y voulait ni masures ni guinguettes.

En 1786, Paulet songea à s’établir sur la butte de l’Étoile. Sa demande donna lieu aux observations suivantes :

« La position du château des Tuileries et la direction de la grande allée de son jardin ont donné la disposition des avenues des Champs-Élysées, celle du pont de Neuilly, et toutes ensemble, celle de la grande route et promenade de l’Étoile, alors couverte de grands arbres et impraticable aux voitures, tant parce qu’il n’y avait aucun chemin frayé et de l’irrégularité du terrain qu’à cause de la raideur de sa pente, cette montagne étant élevée d’environ 100d (?) au-dessus du niveau de la place Louis XV et du pont de Neuilly.

Le public crut d’abord que cette montagne allait être coupée de manière que celle de Chantecoq, au bas de laquelle est le pont de Neuilly, serait aperçue des Tuileries, mais cette idée était absurde : 1° en ce que, perdant d’un côté la belle vue de l’Étoile, la plus agréable des environs de Paris ; de l’autre, cette exécution eût engagé dans des dépenses immenses pour n’en faire qu’un défilé ; 2° en ce que le fond du tableau, dont le point de vue doit être aux Tuileries, se serait trouvé et trop éloigné et trop confus, vu son passage par une gorge aussi longue que la traversée de la montagne, on a dû chercher à réunir l’agréable, l’utile et le nécessaire : 1° le nécessaire, en pratiquant une grande route très facile ; 2° l’utile, en formant par le moyen le moins dispendieux, des avenues, demi-lune, promenoir, esplanade, d’une grande étendue, où l’on pût respirer un air plus pur que dans aucune autre promenade, surtout lorsque les Champs-Élysées devenus trop touffus, la circulation de l’air n’y serait plus libre, ce qui commence à s’effectuer ; 3° l’agréable, en conservant à cet endroit la plus belle vue qui existe et si étendue qu’elle n’est bornée que du côté de la Seine par des coteaux, à la vérité très élevés, mais les plus agréables…

C’est en combinant et ménageant bien l’écrêtement de l’Étoile qu’on est parvenu à conserver sa belle perspective, qui a paru si intéressante qu’on lui a fait tout sacrifice ; il y a même à ce sujet un arrêt du Conseil [des bâtiments] qui défend toute bâtisse et plantation sur les bords… Cette agréable promenade qui a coûté tant de dépenses, de peines et de soins, commence à être fréquentée. Chaque jour, des personnes de la plus haute distinction viennent y jouir du double avantage de la vue et du bon air, mais, par une fatalité singulière, tous ces agréments sont à la veille de disparaître ; la vue même est déjà en partie perdue. »

Le rapport veut parler ici du mur d’enceinte que l’on commençait à construire, et de la place des deux pavillons formant la barrière de l’Étoile.

Le 12 juillet 1786, un arrêt du Conseil accorda au sieur Paulet l’autorisation d’acquérir jusqu’à la concurrence de cent arpents de terrain à la butte de l’Étoile entre Chaillot et le Bois de Boulogne.

Le chevalier recevait des subsides du roi. Les travaux ne tardèrent pas à commencer. On a conservé les plans des constructions. Quelques-uns sont en couleur, et donnent des dessins représentant des ouvertures comme celles des tentes avec d’immenses rideaux relevés ; sur l’un d’eux, on voit auprès d’une de ces ouvertures un petit mousquetaire qui monte la garde.

D’autres plans sont aussi fort intéressants. Un donne les terres de Chaillot au-dessus de l’Esplanade, ce qu’au commencement du XVIIIe siècle, on appelait uniquement les Champs-Élysées : il y a là le canton des Seigneuries, celui des Tartres, celui de l’Orme, celui des Coffries. On y voit deux propriétés appartenant à Pauquet, avocat, rue du Colombier, à Paris ; il a pour voisin, en descendant, un maître menuisier, M. Marcellin., un maître d’école, Lannoy, et voisin de celui-ci, M. de la Trémouille.

Dans un autre plan, qui donne également les noms des propriétaires, nous rencontrons notre client Tubeuf, dont nous avons déjà parlé, et deux Magu. Une plaque, au rond-point de Longchamp, indique qu’il y avait la une ferme Magu, où Boileau et ses amis venaient boire du lait. Nous avons retrouvé un Magu. En 1777, Pierre Magu est marguillier à Chaillot. Le 3 mai, il cède à François-Emmanuel Arnaud et à Marie-Anne Vaillant de Bressy, sa ferme, une pièce de terre au Clos d’Orléans ; il a une autre pièce de terre au lieu-dit les Longues Plantes ou Bonnival. La même année, « il délaisse pour la fabrique de Chaillot, à titre de rente foncière et bail d’héritage, d’un demi-arpent au lieu-dit l’Orme Richard, terroir Chaillot. »

Après le 10 août 1792, le chevalier Paulet émigra. On ne sait ni où ni quand il mourut. Les travaux de son école furent abandonnés : à quel degré d’avancement étaient-ils ? c’est ce que nous ignorons.

La Convention envoya les orphelins à Popincourt : ils occupèrent la caserne des Gardes-Françaises. En l’an VII, ils furent envoyés à Liancourt, où le duc de ce nom avait institué une école pour les enfants de son régiment. On y transféra aussi ceux qu’avait recueillis Léonard Bourdon au prieuré Saint-Martin. De là, ils émigrèrent tous à Châlons, et ce fut l’origine de l’École des arts et métiers. Nous renvoyons aux articles que nous avons publiés dans les Annales révolutionnaires : Léonard Bourdon et la Société des jeunes Français, et les Origines de la première école d’arts et métiers.

GABRIEL VAUTHIER.

Article publié dans le Bulletin de la Société Historique d’Auteuil et de Passy, tome XI, n° 108, page 63.
L’article est consultable en ligne sur le site Gallica. La page 108 équivaut sur Gallica à la page 187 >>>