Theophile-GautierTHEOPHILE GAUTIER (1811-1872)

PROMENADE AU BOIS DE BOULOGNE

Le bois présentait à cette heure matinale un aspect véritablement pittoresque que la fashion lui fait perdre dans la journée : l’on était à ce point de l’été où le soleil n’a pas encore eu le temps d’assombrir le vert du feuillage ; les teintes fraîches, transparentes, lavées par la rosée de la nuit, nuançaient les massifs, et il s’en dégageait un parfum de jeune végétation. Les arbres, à cet endroit, sont particulièrement beaux, soit qu’ils aient rencontré un terrain plus favorable, soit qu’ils survivent seuls d’une plantation ancienne ; leurs troncs vigoureux, plaqués de mousse ou satinés d’une écorce d’argent, s’agrafent au sol par des racines noueuses, projettent des branches aux coudes bizarres, et pourraient servir de modèle aux études des peintres et des décorateurs qui vont bien loin en chercher de moins remarquables. Quelques oiseaux que les bruits du jour font taire pépiaient gaiement sous la feuillée ; un lapin furtif traversait en trois bonds le sable de l’allée et courait se cacher dans l’herbe, effrayé du bruit des roues.

Avatar, 1839